Question 1 : Vous vous intéressez beaucoup aux différents modèles d'édition de livre au Québec. Pourquoi cet intérêt ?
En tant que lectrice, je ne fais pas cette distinction. Je cherche un livre bien écrit, dont l'idée me plait, qui respecte les principes de publication au Québec (avec un ISBN, par exemple) et qui a suivi un processus complet et traditionnel d'édition (révision, mise en page et impression par des professionnels). Le type d'édition n'a pas d'importance.
Mais en tant qu'éditrice, je suis constamment confronté avec la discrimination que subissent ceux et celles qui font les choses autrement. Au Québec, l'agrément apporte des subventions. La subvention apporte la reconnaissance (dans les Salons du livre par exemple). Les autres sont considérés comme étant de seconde classe et n'existent pas aux yeux du gouvernement.
Pourtant, tout le monde le sait, l'agrément n'est pas un gage de qualité du livre ni du respect des écrivains.
Le milieu littéraire au Québec met une importance capitale sur l'agrément qui permet à certains éditeurs de recevoir des subventions. On force donc les autres à se définir par rapport à eux. Heureusement, les choses changent au Québec. Par exemple, la SODEC, un organisme qui distribue des fonds, établit clairement trois modèles d'édition, soit :
Ces changements permettent de placer l'auteur et son livre là où il aurait dû toujours être, au centre de l'univers littéraire. Or, au Québec, jusqu'à maintenant, on croyait que l'éditeur était le centre de cet univers. Ajoutons à cela l'adoption du projet de loi 35 qui redonne à l'auteur la place importante qu'il aurait toujours dû avoir. Ça aura pris 34 ans pour réparer une injustice, mais les choses devraient mieux aller pour les écrivains au Québec.
La prochaine étape sera de mettre tous les éditeurs sur un pied d'égalité. Ça passe par la revue fondamentale de la Loi sur le livre, du programme d'agrément et des programmes de subventions aux éditeurs et aux auteurs.
Question 2 : Vos livres de la collection « Le Pays de la Terre perdue » ont été publiés chez Véritas Québec. Pourquoi avoir choisi une maison à compte d'auteur plutôt qu’une maison agréée (subventionnée) ?
Plusieurs maisons à compte d'éditeur ont démontré de l’intérêt pour l’idée, mais je n’ai pas apprécié leurs réponses. On voulait publier le premier tome puis attendre le résultat. Le tout en exigeant que je cède mes droits d’auteur à vie, sur la signature du contrat. Et si la maison d'édition décidait de ne pas continuer ? Un changement de propriétaire entraîne un changement d'orientation éditoriale... on connait ça. On décide de pilonner des livres pour faire de la place en entrepôt... ça aussi on connaît...
Je me voyais mal me présenter à une deuxième maison, l’année suivante, pour le deuxième tome en disant « je suis désolée, mais une autre maison a les droits sur le premier roman ». Cette obligation de renoncer à mes droits d’auteur me laissait perplexe.
En plus de ces deux raisons, je n'appréciais pas le ton avec lequel on s'adressait à moi. On me proposait un contrat de gré à gré, mais je n'avais pas le droit d'imposer quelque condition que ce soit. Les phrases « ben voyons, ma p'tite madame ... » me montrait l'absence totale de respect pour l'autrice et la femme d'affaire. Mon expérience de cadre dans une grosse entreprise m'a fait grincer des dents au ton condescendant.
J’ai refusé ces offres et j'ai cherché une autre manière d'éditer mes livres.
La publication en édition à compte d'auteur, donc à coût partagé entre l'auteur et l'éditeur, n'apporte pas ces contraintes ni cette discrimination. Je gardais mes droits d’auteurs. Je pouvais faire les six tomes avec la même maison d'édition. Je me suis sentie respectée dans ce milieu.
De plus, ne venant pas du milieu littéraire, j’avais besoin d’aide pour amener mes livres là où je le voyais. J’ai trouvé le coaching dont j’avais besoin chez un éditeur à compte d'auteur.
Tout ça m'a bien préparée à la prochaine étape de ma carrière, l'autoédition et la création de ma propre maison, les Éditions du Défi.
Question 3 : Vous avez pris la décision de créer votre maison d’édition. Que s’est-il passé ?
Je dirais qu’il s’agit, pour moi, d’un cheminement normal. Ma carrière antérieure de 35 ans dans la fonction publique fédérale comportait de nombreux postes de direction. Mon choix de compléter un MBA (Concordia) s'inscrit dans cette optique.
La gestion de projet demeure l’une de mes forces. Il m'apparaissait évident d'utiliser mes compétences et mes connaissances dans le développement de ma carrière littéraire, d'où le choix d'assumer les fonctions d’éditrice. J’étais prête à voler de mes propres ailes.
J'ai choisi d'utiliser le principe d'autoédition pour la publication de mes livres, en créant mes propres barêmes, mon équipe de professionnels du livre, tout en développant un plan d'entreprise qui respectait mon emploi du temps, mon rythme d'écriture et les fonds disponibles.
Question 4 : Vous avez souvent écrit sur l’importance de conserver vos droits d’auteurs. Pouvez-vous en dire plus ?
L'autoédition me permet de garder un contrôle total sur mes droits d'auteurs. De plus, personne ne peut prendre de décision à ma place concernant le livre.
J’apprécie beaucoup l’indépendance que l'autoédition me procure. Certaines maisons d’édition agréées cherchent à prendre le contrôle des droits d'auteurs, y compris ceux associés à la cinématographie et les produits dérivés. Selon eux, le fait d’assumer tous les coûts de la publication sous format livre leur donne le droit d’exiger cette cession complète et outrancière, parfois à vie. Je trouve cette façon de faire abusive. Pourtant, sans l’auteur, l’éditeur n’est rien.
Notez que de plus en plus d'éditeurs démontrent un grand respect des auteurs, demandant une cession de droit pour quelques années seulement. Ils limitent la cession à l'édition du livre seulement. Je pense que l'Union des écrivaines et des écrivains du Québec (UNEQ) fait un excellent travail de promotion vis-à-vis les droits des auteurs et des autrices.
Le 3 juin 2022, l'Assemblée nationale du Québec a voté, à l'unanimité, le projet de loi 35 sur le statut de l'artiste. La nouvelle loi corriger les torts au statut des écrivains que l'ancienne loi promulguée en 1981 avait causé. Maintenant, les auteurs et les autrices sont des artistes à part entière. Ils ont obtenus les mêmes droits que tous les autres artistes du Québec, y compris le droit de négocier des conventions collectives avec les autres intervenants (Éditeurs, Salons du livre et autres). Tout ça va donner un vent nouveau du côté des droits d'auteurs qui se verra dès les prochaines négiciations collectives entre l'UNEQ et l'ANEL)
Question 5 : Est-ce que vous refuseriez de faire publier un livre par une maison à compte d'édition ?
Pas du tout ! La maison d’édition agréée « Les Messagers des étoiles » a publié en mai 2013 le collectif « Un bouquet de roses » qui contient l’un de mes textes. Je pense qu’il faut choisir le modèle qui convient pour l’ouvrage que l’on présente. Je dois aussi ajouter que les formules offertes par l'édition à compte d'éditeur, à compte d'auteur ou en autoédition sont fort nombreuses. Il est important de chercher celle qui convient à l'auteur, à chacun de ses livres, à ses moyens financiers et à ses compétences.
Ma maison d'édition sert à publier mes livres qui font partie de collections/séries. L'une d'entre elles comprendra 11 tomes, une autre, 5 livres. Placer l'avenir de ces collections dans les mains d'éditeurs qui peuvent n'importe quand "cesser" la production ne m'enchantait pas.
Par contre, j'ai quelques idées de livre unique qui ne seront pas dans l'une des collections proposées par les Éditions du Défi. Pour ces textes, j'évaluerai l'avantage de les proposer à des maisons à compte d'édition, si elles sont en meilleure position que moi de mettre en valeur ces livres particuliers. Puis, je profiterais de travailler avec d'autres professionnels du livre pour augmenter mes compétences tant en écriture qu'en édition de livre.
Dans cette ligne de pensée, mon livre "Alfred, choisir la vie" a été publié en décembre 2021 avec les Éditions du Tullinois.
Plusieurs écrivains s'affilient à plus d'une maison d'édition. Pourquoi pas moi ?
Question 6 : Peut-on s’attendre à ce que vous acceptiez bientôt des manuscrits d’autres auteurs ?
Je ne crois pas. Les dernières années m’ont permis d’établir mon modèle d’affaires, les lignes éditoriales de la maison d’édition, les normes essentielles à mon travail d’éditrice. Par contre, mes projets d’écriture rempliront mon calendrier pour plusieurs années encore.
Je ne crois pas que je pourrai un jour donner le temps et l'énergie à d'autres auteurs, comme ils le mériteraient.
Par contre, je reconnais l'importance de redonner au milieu littéraire ce que j'ai reçu en apprentissage. Pour cette raison, je donne du coaching depuis quelques années afin d'aider des gens qui à faire vivre leur rêve d'écrire un livre. J'ai profité d'un tel encadrement quand j'ai commencé. Je l'ai apprécié. Je remets au suivant !
Question 7 : Quand on vous rencontre dans les Salons du livre, on a l’impression que vous avez un plaisir fou à raconter votre histoire et à présenter vos livres.
Oui, J’aime parler de mon métier et les visiteurs me le rendent bien. Mes contacts avec les lecteurs me remplissent d’énergie. Les discussions sur tous les sujets abordés me stimulent et me provoquent, ce qui se traduit la plupart du temps dans mes écrits.
Je profite aussi de cette camaraderie que je retrouve dans les évènements littéraires avec les autres auteurs et les éditeurs du monde du livre. Cette collégialité me stimule énormément et brise cette solitude que l’auteur vit continuellement quand il écrit.
J'en profite aussi pour discuter de l'avenir de l'auteur, de l'autrice, de l'écrivaine dans le milieu du livre au Québec. J'aime me tenir au carrefour des changements qui s'annoncent et y participer fièrement et pleinement.
Question 8 : Récemment, j'ai remarqué que vos livres des Éditions du Défi, tant en version numérique qu'en version imprimée, sont disponibles sur Amazon. Voulez-vous boycotter les libraires ?
C'est nouveau en effet.
La manière prévilégiée des Québécois de se procurer un livre passe par les libraires. Mes livres sont toujours distribués au Québec par Distribulivre et offert dans les librairies. Ça ne changera pas.
J'aimerais souligné ici que cette manière de faire des Québécois est en train de changer. La pandémie a accroché les gens à l'idée de recevoir leurs achats directement chez eux... plus rapidement que ce que peut faire un libraire. Si les acheteurs sont abonnés au programme Primes, le livre arrive chez eux, le lendemain... sans frais de livraison. Ça devient difficile, même pour un collaborateur du milieu du livre québécois, d'attendre deux, trois, parfois cinq semaines avant d'obtenir le livre convoité.
Également, je reçois régulièrement des demandes provenant de francophones hors Québec, de francophiles en Amérique, de Belges, de Suisses et, surtout, de Français. Dans ces zones, l'utilisation d'un mécanisme de vente par les librairies requiert des fonds importants. De là, l'utilisation de la plateforme Amazon pour ces régions. Une fois les livres en ligne, Amazon se charge de l'impression et de la livraison. Ça m'enlève un fardeau et ça me donne du temps pour écrire.
Jusqu'à présent, j'apprécie l'expérience. Une campagne publicitaire en France roule depuis quelques mois et donne de bon résultats.
Question 9 : Comment arrivez-vous à garder contact avec vos lecteurs ?
C'est l'une des parties difficiles du métier, je crois.
L'écriture exige que je passe de longues heures, seule, devant un écran d'ordinateur. Le métier d'éditrice en demande tout autant.
Bien sûr, je suis présente sur Facebook, dans quelques Salons du livre et à d'autres évènements. J'ai un site Web et mes livres sont diponibles en librairie et sur Amazon. Le lecteur peut m'écrire. J'ai fait quelques conférences et des lancement de livre. J'ai un blogue où les gens peuvent s'abonner.
N'empêche que j'ai constamment l'impression de me trouver très loin de mes lecteurs. Je crois que la vie d'aujourd'hui va trop vite et que l'offre de lecture est immense. On perd rapidemenr de vue les cordonnnées de l'écrivain qui a écrit le dernier livre qu'on a lu. Ça rend notre vie très superficielle et éphémère.
Je cherche toujours des moyens de rester en contact avec les lecteurs... et d'en augmenter leur nombre. Je travaille présentement sur une formule "infolettre" par laquelle je pourrai informer ceux qui s'inscrivent sur les nouveautés chez Éditions du Défi et ce sur quoi je travaille. J'en profiterai pour répondre à plusieurs questions venant des lecteurs et des lectrices. La première infolettre sortira à la mi-septembre.
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